FAA.

Comment nous travaillons.

L’art du jeu est pour nous une voie de connaissance. Nous nous considérons comme des actrices-artisanes, qui explorent une connaissance empirique. Comme des actrices-chercheuses, qui explorent une connaissance théorique. Comme des actrices-athlètes, qui s'intéressent au potentiel exprimé à son plus haut niveau. Comme des actrices-militantes, qui s’intéressent aux répercussions hors plateau des connaissances que le plateau développe. Nous travaillons avec de nombreuses praticiennes dont les motivations, les visées, les histoires sont différentes des nôtres, et leur apport est absolument essentiel, comme l’est en toute occasion, nous en sommes convaincues, le pluralisme. 

Si les protocoles peuvent varier selon les disciplines et les personnes en présence, il y a des règles communes qui caractérisent notre façon de faire recherche.

Transdisciplinarité

La transdisciplinarité est la première règle. Chacun de nos ateliers de formation et laboratoires de recherche mettent en présence deux ou plusieurs disciplines différentes et au moins autant de maîtres et/ou chercheuses qui se considèrent comme des pairs. Nous commençons par délimiter ensemble un champ de recherche précis : nous devons trouver une question, une hypothèse ou un thème qui soit commun aux disciplines en présence. La règle du plus petit dénominateur commun est souvent notre guide. Le conflit, par exemple, est commun au karaté et au jeu. Commencer, développer, finir est commun au théâtre et à la danse (au moins !). L’hypothèse que, comme d’autres espèces animales, nous traitons les interactions positives dans l’hémisphère gauche du cerveau et les négatives dans l’hémisphère droit, intéresse en égale mesure les actrices, les éthologues et les neuroscientifiques. Ce travail préalable, qui nous demande de préciser nos intentions et, souvent, de traduire notre terminologie pour qu’elle soit compréhensible, est indispensable pour nous assurer que nous allons bien investiguer le même objet, depuis des points de vue différents. Mais aussi que nous allons toutes, quelle que soit notre discipline, repartir, sinon avec des réponses, au moins avec une question bien plus riche et plus complexe qu’avant.

Expérience

Nous travaillons en immersion, nous pratiquons les autres disciplines pour elles-mêmes, comme si, en débutantes que généralement nous sommes, nous voulions les apprendre. Par exemple, nous faisons le matin quatre heures de karaté, ou nous allons au stand de tir et nous apprenons le tir à la carabine. Par exemple, nous construisons avec les éthologues une expérience de laboratoire qui respecte les critères scientifiques. Nous faisons personnellement, collectivement, l’expérience du karaté, du tir, de la danse, du laboratoire... Cela passe par nos corps, nos ressentis, notre vécu. Ce faisant, nous nous mettons à la recherche des associations possibles avec notre domaine, le jeu. Nous avons l’intuition que tel exercice, par exemple, tel procédé pédagogique, telle terminologie ou telle séquence d’actions recèle quelque chose de commun avec le jeu, et l’exprime de façon plus pointue, plus spécifique ou plus compréhensible que nous ne pourrions le formuler ou l’exercer.

Traduction

Pendant l’autre moitié de la journée, nous expérimentons nos intuitions en cherchant d’abord à traduire pour le jeu, puis à appliquer à différents types de scène ce qui n’est encore qu’une ébauche d’outil. Pour être définitivement considéré comme tel, il faut tout d’abord que toutes celles qui participent au laboratoire l’aient trouvé opérant (il y a un changement perceptible entre la scène sans et la scène avec outil), de l’intérieur (en jouant) et de l’extérieur (pour les spectatrices que nous sommes). 

Transmission

Pour finir, il faut que nous soyons capables de transmettre cet outil à des actrices qui n’ont pas participé à l’atelier ou au laboratoire, et qui ne sont pas des expertes de la discipline depuis laquelle nous l’avons traduit. L’outil doit devenir un outil de jeu à part entière. Si nous avons bien travaillé tu ne dois donc pas te préoccuper de ne pas être une karatéka, une tireuse à la carabine, une danseuse ou une spécialiste des sciences cognitives.

Invention

Ces outils sont-ils nouveaux ? Dans un métier qui évolue depuis des milliers d’années dans des conditions, au fond, assez semblables, avec l’apport de tant d’expériences, tant d’intelligences, tant de cultures, nous nous méfions beaucoup de la prétention de nouveauté, ou de celle d’originalité. Il y a cependant une part d’invention qui se situe dans la façon d’assembler des éléments préexistants et de les réactiver dans les conditions du présent : nous revendiquons désormais cette part. Bien entendu nous écartons par contre toute forme de propriété, ou pire encore de copyright. Non seulement nos recherches ont lieu grâce à l’argent public, elles sont par conséquent publiques, non seulement elles veulent participer à l’évolution d’un métier, et visent donc à être expérimentées par le plus grand nombre, mais nous trouvons regrettable que l’époque puisse nous amener à nous considérer propriétaires d’une idée, d’un procédé, d’un geste.